mardi 13 mai 2014

12 - Un rêve éveillé

Lors d'une promenade nocturne à cheval, une bien étrange aventure m'est arrivée.

Je filais à molle allure sous la blancheur lunaire, bercé par la marche monotone de ma monture. La campagne entière résonnait du seul bruit de ses sabots.

Mélancolique, je me mis à songer à l'improbable aimée qui tardait à venir. Mais bientôt assoupi par le pas alangui de l'animal, je posai la tête contre sa nuque. Le doux Morphée m'emporta bien vite, tandis que je demeurai à demi couché sur l'équidé qui cheminait toujours. Et le songe prit le relais de la rêverie amoureuse... La vision onirique prit corps, tournant à la féerie, et je crus voir ma belle pour de bon.

Elle marchait à mes côtés, se métamorphosant imperceptiblement en une jument superbe : ses cheveux d'or se changèrent en crinière et sa robe claire épousa ses chairs. Je la montai, à la fois hardi et tremblant. Aussitôt elle m'emporta dans une chevauchée impétueuse pour prendre son envol vers l'astre de la nuit.

Panache au vent et bouche écumante, elle se lança dans les airs, frénétique. Mes éperons étincelaient au clair de lune, son crin ondulait fièrement et des flammes de fraîcheur giflaient ma face échevelée... Une joie inédite m'inonda.

Je m'étourdissais dans ce saut vertigineux, les doigts agrippés à ses mèches en bataille. Le zénith atteint, dans un long hennissement qui la fit se cabrer avec grâce sur le fond des étoiles, elle communiqua à Séléné son bonheur de sillonner le firmament à mon côté, elle cavale ailée, moi baladin sidéral.

Enfin, dans un tourbillon furtif nous disparaissions vers les immensités célestes.

Reprenant bientôt mes esprits, je m'aperçus que je m'étais égaré durant mon bref sommeil sur le dos de la bête qui, impassible, avait continué sa progression. Et, retournant en arrière, je fixais le satellite qui éclairait mon chemin, songeur, l'air dubitatif...

Le regard perdu entre ciel et poussière.

11 - La Lune

Pour vous rejoindre, depuis si longtemps que j'en avais conçu l'immortel projet, je me hâterai sans regret, ivre de vous, insoucieux du futur, confiant dans votre pâle éclat, attentif à votre regard paisible, envoûté par votre sourire triste et énigmatique.

Vous êtes une lyre éternelle accrochée à la nuit, et avant que je ne sois né vous chantiez depuis toujours au-dessus des nues.

Avec sérénité.

Je n'étais pas encore en ce monde, et vous le berciez de vos soupirs lents et infinis. Dès que je vous ai vue, à l'éveil de ma jeune âme, j'ai eu l'intuition d'être né par et pour vous.

Oui, depuis ce temps mythique de mon enfance où, imprégné de votre mystère, j'allais m'évader dans votre chevelure phosphorescente, je rêve de vous. Avec votre insondable mélancolie, vous semblez régner sur mon destin. C'est vers vous que je désire monter. C'est du haut de votre sommet que je veux contempler les êtres et les choses contenus dans l'Univers.

Au jour de ma mort vous diffuserez vos reflets sur mon visage éteint. Et ce sera votre dernière caresse sur ma face sans vie. Vous êtes onirique et j'aurai l'éternité devant moi pour fouler votre sol de poussière et d'immuable écume.

10 - Celui qui est en moi

Le son des pas du cheval dans la plaine me fait songer à chaque étoile que compte le ciel de ma longue nuit. Lorsque je foule la poussière des chemins, c'est toujours vers le firmament que se tournent mes regards.

Tous les astres du monde sont logés dans mon coeur comme autant de larmes ou d'émeraudes, selon que je suis triste ou plein de joie. Je porte en moi les chagrins les plus secrets, les plus futiles de l'univers. Mais je sème aussi des lumières éclatantes chez les mortels. En quête d'un amour que je suis seul à concevoir, je parcours la Terre depuis des siècles en infatigable rêveur, trouvant la force de durer à travers les sensibilités les plus pures. Ma jeunesse est intacte, préservée par une éternité de vertus.

Mon souci n'est pas l'or, ni le temps, ni même la mort qui effraie tant les hommes, mais l'azur, la beauté, la poésie. Aussi, je ne puis m'éteindre : l'infini est mon compagnon de route. Loin de vos lois, je règne en souverain sur vos insomnies, vos songes, votre imaginaire.

Parfois on me tend la main sous la Lune : je prends la forme d'un paysage, d'un feu follet, d'une chandelle. Là, j'apparais dans mon ineffable vérité.

Je poursuis ma route la tête dans les constellations à la rencontre des esprits subtils.

Je suis un fou d'immensités, de liberté, d'absolu, un spectre, une flamme traversant les âges, accroché à des incarnés. Je voyage d'âme en âme. L'être dont je possède le souffle aujourd'hui est l'auteur de ces lignes que vous êtes en train de lire.

J'ai pris possession de lui et je prends la parole à travers sa plume.

Mon nom est Pierrot. 

9 - Au clair de l'une, à l'ombre de l'autre

Mademoiselle,

A la vue de la Lune montant dans la nue, vos traits s'imposent à moi. Toujours, je vous ai associée au disque lunaire, vous ma claustrale, vous ma mélancolique amante. Brumeuse apparition aux charmes muets et au visage vague, vous êtes l'appel du large : celui des profondeurs sidérales et des étoiles lointaines.

Vous êtes ma consolation poétique, une sorte de lueur au firmament qui entretient en moi le rêve. Demeurez pour l'éternité cette spectrale, frêle créature croisée entre poussière et azur, entre ciel et gargouilles. Votre orbite est onirique, vous l'astre au teint blême. Chaque fois que je regarde le satellite, c'est votre face que je vois Mademoiselle, aussi douce qu'une chandelle, mystérieuse comme un oiseau de nuit, hâve tel un fantôme.

Lorsque passe au-dessus de mon toit la sphère étrange, qu'elle chuchote à travers ma fenêtre, qu'elle se fait compagne de mes insomnies, c'est vous que j'entends frapper au carreau, vous qui hantez ma chambre, vous qui me tenez en éveil.

La Veilleuse qui luit au zénith me rappelle la triste chartraine que vous êtes. Vous ne cessez de tourner autour de moi Mademoiselle. Et tout comme la blanche Dame au dos rond, vos grâces sont tombales. Je chante à l'infini votre beauté funèbre.

Vous avez les attraits cosmiques des sélènes incarnations et des filants objets qui peuplent la voûte, hôtes stellaires que je poursuis comme un Graal à ma portée.

Vous ressemblez au mystère d'en haut. Vous êtes un temple, et de ce temple s'élève une prière. Et cette prière, c'est la mienne. Et je m'adresse à vous. Et le sens de ma prière est l'amour.

Chartres est mon éden et ma douleur, ma gloire et ma misère. Et votre rivale de chair qui partage mon alcôve, ma plus chère faiblesse. Vous, vous êtes mon purgatoire, ma croix, mon linceul. Et puis ma rédemption, ma lumière, mon salut. L'une est ma conquête temporelle, l'autre ma victoire céleste. L'une à ma gauche, l'autre à ma droite. L'une est un peu ange, l'autre un peu diable. Tiraillé entre ces deux feux, je me consume.

Ma plume est une flamme et vous Mademoiselle, vous êtes un songe. Des deux follets sont nées ces lettres d'artifices.

Je vous destine ces mots. Je m'en retourne à mes hauteurs de roc et de régolithe, à ma compagne légitime et à mes chères étoiles, ne cessant de songer à vous.

8 - Entre Terre et Lune

J'erre entre ciel et poussière dans la solitude et le silence, le regard perdu dans les étoiles, la face mélancolique, l'allure astrale. J'allonge le pas sous une nuit éternelle, sur un rivage sans fin : mon pied est léger, mon coeur est lourd, et mes larmes s'évaporent comme de l'éther dans l'espace. Mon chagrin a le prix des choses inconsistantes : je pleure pour rien du tout.

J'ai l'âme dans les brumes et je vogue dans un océan de spleen. Tel un oiseau de sombre augure, je m'enlise dans des flots de grisaille, les ailes indolentes, les pensées pleines de crépuscule.

Mon vol est funèbre, lent, navré, et cependant beau.

Mortel et lumineux.

Je voyage au-delà de la Terre pour un royaume lointain.

Je vais en haut, là-bas, ailleurs. Vers d'autres horizons. De vagues en vagues.

J'ai tout mon temps pour m'enivrer d'agonie. Je navigue dans mes profondeurs, vers un but imprécis. Et m'égare, de soupirs en sanglots.

Sans répit.

Et dans mon trouble, plongé dans ces fumées d'un autre monde, noyé dans ces ondes mystérieuses, je ne sais plus si je flotte ou si je plane.

Je suis affligé, inconsolable, aussi accablé qu'un fantôme. Condamné à rêver dans le vide sidéral. Je n'ai plus de joie, et mon infinie tristesse est néanmoins ma raison de vivre.

La blonde veilleuse est mon asile : je suis PIERROT LUNAIRE.

7 - Mourir sous la Lune

Moi je ne veux pas mourir au Soleil.
 
Je préfère bien mieux rendre l’âme sous la Lune.
 
Les mortels ordinaires, pour ne pas dire dupontesques, veulent tous fermer les yeux avec les rayons de Râ plein la tête. Pour ces êtres primaires, ces esprits superficiels, ce sera le dernier éblouissement d’une existence vouée à la consommation, l’ultime rappel de leurs plus belles vacances à la plage, le souvenir final de leur vie de minable.
 
Personnellement je déteste Hélios. Les caresses haineuses, malhonnêtes, létales de cet astre qu’adorent les estivants me sont insuportables tant physiquement que moralement ! Sa lumière vive surtout qui entre dans ma chambre me déprime. Les murs et les toits sont faits pour isoler leurs hôtes des intempéries, non pour les y exposer. Les fenêtres trop grandes sont pour moi une aberration architecturale. Quand le dieu de midi illumine une pièce, il devient un intrus et je me sens violé, pris au piège de ses tentacules enflammés.
 
Cette gueule cosmique totalement hystérique m’a fait assez transpirer sous ses crachats de feu, a inspiré suffisamment de sentiments vulgaires au bétail humain des classes moyennes, engendré trop de bonheur frelaté chez la gueusaille infestant littéralement le littoral, fait naître davantage d’hérésies chez la populace avide de congés payés pour que je lui dédie mon soupir suprême.
 
C’est à la bienveillante Sélénée que j’adresserai ma prière de mort.
 
Mon regard terrestre s’éteindra sous la clarté phosphorescente de cette pierre moribonde planant dans le coeur des poètes. Et si les nuages, le jour, l’horloge céleste réglant ses allées et venues ou quelque rempart de béton m’empêcheront de contempler sa figure sereine, son profil sage, son croissant aigu, aucune importance !
 
Le face lunaire sera présente sous mes paupières closes : je n’aurai qu’à songer à son visage énigmatique pour quelle m’enveloppe de son mystère.
 
Et m’emporte dans son royaume mystique.
 
Là, sur sa surface figée, silencieuse, profonde, paisible et effrayante, j’errerai en compagnie choisie.
 
Verlaine à ma droite, Virgile à ma gauche, l’infini au-dessus de mon auréole, au son de ma lyre cynique et joyeuse je continuerai de dénoncer l’imbécillité de mes contemporains tout en chantant la supériorité izarrienne.
 
Moi je veux expirer au clair de la nuit, au bord du firmament, au fond de mon jardin.

6 - Le baiser de la Lune

La lune me tira du lit.

Dans mon sommeil agité, je ne cessai de lui jeter des regards troubles. Il fallait bien que je succombe... C'était l'été, je fus bientôt sous les étoiles en pleine campagne, ahuri. Je m'égarai vers la sylve. Quelque volatile de nuit frôla ma tempe, mais je ne vis rien dans la nue. Rêveur, j'imaginai alors la caresse triste de Séléné sur mon front. Tout en songeant de la sorte, j'errais vers les bois. Autour de moi, un grand silence. Et moi, hagard, hanté par une présence astrale irradiante, douce et vénéneuse, je cheminais le regard divaguant entre sol et zénith, le pas alangui.

Étendant dans les airs son grand voile d'éther, le spectre semblait projeter sur le monde ses songes silencieux et blafards. L'ordre cosmique s'ébranla dans ma raison ensorcelée par l'astre : je me demandai si je ne faisais pas partie des fantasmes sidéraux imaginés par ce globe luisant... Dans ma somnolence je le crus un instant. Tel une silhouette née des rêves de cette face incertaine, un pantin d'ombre et de nuée issu de ce crâne argenté errant au firmament, j'eus l'impression d'appartenir à cette tête apathique glissant dans l'empyrée...

Puis, dans un grand vertige où je vis tournoyer les constellations, je perdis connaissance. Ou plutôt je sombrai dans une léthargie brutale et étrange. Je me réveillai avant l'aube, frissonnant parmi les herbes imprégnées de rosée.

Encore engourdi, machinalement je passai la main sur mon front. J'eus la sensation d'y essuyer un sang funeste ou quelque écume mystérieuse. Retournant mes doigts d'un geste fébrile, je vérifiai.

Une cendre dorée fit luire ma paume, furtivement, avant de se désagréger quasi instantanément en des milliers de particules étincelantes.

5 - Le son de la Lune

Elle me hante avec délices, me tourmente comme un fromage jaune dans le ciel, m'obsède telle une femelle à la chevelure blonde et au regard obscur. Spectre sidéral, oiseau aux ailes astrales, insecte doré à l'abdomen comme une grosse pierre molle, limace céleste glissant dans le firmament, escargot cosmique faisant baver de toute éternité rimailleurs et superstitieux, la Lune qui s'arrondit annonce des rêves peuplés d'herbes folles et de mirages fauves.

Avec son visage phosphorescent, ses yeux charismatiques, sa bouche pleine de miel électrisant, elle me dérange aux heures indues. Hôte importun, attendu et redouté, elle est la cause suprême de mes insomnies, l'objet essentiel de mes ravissements.

Ses manières lentes, énigmatiques lui confèrent un charme vénéneux, doux et subtil.

Quand la belle noctambule brille pareille à un phare, je la soupçonne de réfléchir de toute sa tête. Et à quoi songe ce crâne luisant, enchaîné à son immuable orbite ? L'astre pense comme un philosophe, imagine des romans puérils, tisse des histoires à dormir debout, bêle dans la nuit.

Ses flammes éblouissantes, absurdes et fantasques, ne seraient-ce pas ces rêves nocturnes qui depuis des temps immémoriaux agitent et apaisent, effraient et bercent les hommes sur la terre ?

Non, ce serait trop beau.

Les ondes de l'orbe sont des rayons sauvages et suaves qui percent mon coeur comme des flèches enduites de bave de mollusque vomitive afin d'en faire jaillir feux et silex, éclats lyriques et noirceurs béotiennes, bile amère et exhalaisons exquises.

4 - La face cachée de la Lune

Verte, sournoise, tranchante, voici la Lune qui croasse. Ses ailes d'azur sont de mauvais augure. J'aime les sourires fourbes de cette hanteuse.

Point crucial de la nuit, oeil errant de la voûte, confidente des clochers, elle accompagne mes veilles, fidèle, moqueuse, attachante. Je trouve sa face subtile, sa caresse ironique, son silence mortel. Elle passe, fécondante, prodiguant mauvais rêves et bonnes fortunes. Ses quiets rayons irradient le malheur. Elle rassure les chouettes, effraie les dormeurs.

Elle répand son miel dans l'espace, déverse son fiel sur les poètes, rend muettes les villes, fait parler les campagnes... Elle attise les rumeurs, ravive âtres et légendes, délie les mauvaises langues, fait fermer les portes et sceller les coffres.

Il m'arrive de lui parler. Mes mots pour elle sont tendres. Mais ses éclats sont durs. On la croit indolente, molle, sereine. Elle est vive, sèche, tourmentée. C'est une amie sévère qui rit avec férocité, sanglote à faire rendre l'âme.

J'aime cette séductrice aux joues brillantes, au front lisse, au regard fixe. Ne vous fiez pas à ses allures candides, car cette fausse étoile en vérité est une méchante fée, une sorcière qui diffuse un parfum venimeux, suave et mystérieux sur la Terre.

3 - La pleine Lune

Elle se lève sur l'horizon avec un visage livide, des joues enflées, une tête molle. Elle monte et survole forêts, routes, villages en rapetissant, devient plus vive à mesure qu'elle s'élève. Parvenue au zénith, l'oeil pétillant, le front clair, elle crache comme une vipère sur les oiseaux nocturnes qui la contemplent en rêvassant. Éblouissante, muette comme une taupe, féline dans son empyrée, elle plane au-dessus des têtes, ricaneuse.

Elle miaule dans le ciel, les spectres l'entendent. Les hérissons sont ses confidents, les hiboux ses messagers, les tombes ses miroirs. Marmoréenne, duveteuse et sépulcrale, elle étincelle d'un seul feu. C'est une flamme mourante que ravivent à chaque instant les moribonds de la Terre. Asile des trépassés, refuge des âmes envolées, l'astre est un vaisseau hanté. Des fantômes sont à la barre : elle vogue, naviguant à vue, myope, stupide.

Belle comme une morte, séduisante avec ses cheveux de sorcière, charmante avec son sourire hypocrite, amoureuse comme une pieuvre, la mélancolie est son royaume. Déesse inquiétante, fauve céleste, oiseau sidéral, caillou plein d'éclat, la Lune depuis la nuit des temps chante sa complainte à l'Éternité.

2 - Une vision des choses

En rasant la pointe du clocher, la Lune m'apparut comme un Graal à atteindre. Ce soir-là les choses aux apparences les plus anodines me dévoilaient un sens caché : je percevais l'essentiel. C'est-à-dire, littéralement le sens du ciel. En somme, sa direction la plus directe, son chemin le plus immédiat.

Je me pris au jeu de ces réflexions à la fois bêtes et subtiles.

En imagination je remplaçai donc la pierre brute de la pieuse construction par le feu et l'acier technologiques de notre siècle : je fermai les yeux et l'église devint fusée. Le vaisseau désignait l'astre, prêt à s'affranchir de la pesanteur. Les paupières toujours closes, je vis le mastodonte s'élever dans un bain de lumière, majestueux.

Il rejoignit bientôt la nue, perçant les nuages, filant à la rencontre d'une nuit peuplée de rêves.

Je le sentais à présent qui parcourait les profondeurs sidérales : ma pensée vagabonde le suivait dans sa course vers l'infini. 

Avec pour tout moteur, le seul essor de la poésie. 

Les choses ayant pris une soudaine hauteur sous mon regard neuf, je voyais finalement le monde avec vérité. Devant moi le roc inerte avait déployé ses ailes. A travers le miracle de l'éther, la matière en quelque sorte s'était allégée.

Je rouvris l'oeil, bouché bée, de l'azur dans la tête, l'air de rien ou de si peu...

Et je demeurai au pied de l'édifice à fixer la voûte étoilée, idiot.

1 - Rencontre au sommet

Ce soir je vais à la Lune.

 
Je marcherai à sa rencontre, l'âme flâneuse, le pas paisible. Elle se montrera ronde, mon coeur sera plein. L'astre étrange est mon asile, mon vertige, mon abîme. Funambule vénéneuse de la voûte, chandelle errante de la nue, j'aime sa molle course au-dessus des toits.
 
Tantôt discret sourire, tantôt face de diable, son mystère s'épaissit au fil des heures. C'est une noble dame qui porte robe longue. C'est aussi une traîtresse qui ricane derrière les égarés. Mieux vaut s'en faire une amie ! Tandis que les dormeurs seront plongés dans leurs rêves, je cheminerai sous son voilage d'éther.
 
Je la contemplerai longtemps, somnambulant entre bois et sentiers, la semelle terreuse, le front palpitant, tout en effleurant le firmament d'un geste grave et dérisoire. Je lui parlerai, tandis que régnera un silence d'or.
 
L'obscurité deviendra argentée.
 
Vagabonde sidérale, elle disparaîtra dans la brume du matin. Et moi comme d'habitude, frissonnant de froid, je me hâterai vers l'âtre. A l'aube je m'endormirai, les cheveux blanchis de la poussière des chemins, la tête remplie des diamants de la nuit.